Viktor Frankl: toutes les raisons de donner un sens à nos vies ! En ces temps troublés où les ténèbres menacent, un éclaireur du XXe siècle est certainement à redécouvrir. Son apport est resté dans l’ombre imposante de Freud, mais le réductionnisme nourri par ce dernier a conforté le matérialisme et le nihilisme de l’époque, laissant nos contemporains largement perdus et désemparés. Actuellement, de plus en plus de personnes souffrent d’un grand vide existentiel et ne savent plus comment diriger leur vie. Des pertes déchirantes, des carences affectives au cours de notre évolution humaine peuvent expliquer cet état. Pour le grand clinicien psychiatre et philosophe Viktor Frankl, nous avons d’une part perdu contact avec les instincts qui déterminaient notre comportement animal et d’autre part nous avons pris nos distances avec certaines traditions sociales ou religieuses qui nous orientaient. Le vide créé par ces pertes se manifeste par l’apathie devant la vie, l’égocentrisme, l’ennui, le manque d’implication, de motivation, le besoin de s’étourdir dans le plaisir, ou encore par la dépression, l’alcoolisme et la toxicomanie, la délinquance et le suicide. Cependant, de notre point de vue, la raison de perte du sens vient de notre société qui est totalement déboussolée et n’a plus aucun repère. Qui était le Docteur Viktor Frankl ? Viktor Frankl était un professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie, l’inventeur de ce qu’il appellera plus tard, la logothérapie, une approche thérapeutique basée sur la recherche du sens de la vie. Il s’avère clairement que Frankl a conçu la « troisième Ecole psychothérapique de Vienne », les deux autres étant celle de Freud et d’Adler, qu’il adopta pour un temps, pour s’en séparer pour des raisons éthiques et une expérimentation pragmatique. Quand les nazis prennent le pouvoir en Autriche, il sabote les ordres reçus, au risque de sa vie, afin de ne pas euthanasier les malades mentaux. En 1942, sa famille est déportée, et il le sera lui-même (interné à Auschwitz puis dans d’autres camps). Libéré, il apprend que sa femme est morte d’épuisement à la libération du camp de Bergen-Belsen. Franckl, de notre point de vue, aurait une grande place à tenir aujourd’hui dans cette société qui souffre de ce que l’on peut nommer « vide existentiel ». Pour ce psychiatre et philosophe, la vie n’est pas seulement un quête de plaisir liée à des pulsions, comme l’enseignait Freud ou bien une quête du pouvoir comme le pensait Alfred Adler, mais une quête de sens. Quelques éléments bibliographiques : Beaucoup d’auteurs situent les prises de positions de Frankl à partir de son expérience des camps d’extermination juifs de la seconde guerre mondiale alors qu’en fait sa quête de sens commence dans les années 1920. Déjà très tôt dans son existence se pose le principe du sens de l’existence. Tout en ayant une solide formation de neurologie, de psychiatrie et de psychanalyse il ne peut se satisfaire des réponses que donnent les nouveaux explorateurs de l’inconscient. Après avoir cheminé avec Freud, il se rapproche un temps d’Adler car celui-ci donne une place plus importante dans le dialogue avec le patient, perçu comme une personne humaine à caractère spirituel, à la différence de Freud qui soigne ses patients en voyant en eux une incarnation de la névrose ou de la maladie, qu’il s’agit de soigner, comme des cas pratiques. Trouver le sens à sa vie Là où, pour motiver nos gestes, Freud parle de désir et Adler de pouvoir, Viktor Frankl évoque le sens : « Je parle de “recherche d’un sens à la vie” par opposition au principe de plaisir sur lequel est fondée la psychanalyse freudienne, ainsi qu’à la volonté de puissance qui est au centre de la psychologie adlérienne. » (Découvrir un sens à sa vie) aux Editions de l’homme. En logothérapie, la recherche du sens à donner à sa vie l’emporte sur nos pulsions, fondamentales dans la psychanalyse traditionnelle. Chaque sujet doit trouver et se donner une raison d’exister, une raison unique et singulière. Elle seule comble l’exigence existentielle et spirituelle de l’âme humaine. Lorsque l’individu n’est pas capable de trouver en lui-même des motivations suffisamment profondes pour vivre, la logothérapie parle de frustration (ou de vide) existentielle. Une lutte contre le vide existentiel En être atteint, c’est perdre toute motivation de vivre : le vide remplace le plein de la vie. Il donne l’impression de subir une fatalité incontournable. « Le vide existentiel peut prendre plusieurs aspects, explique Frankl. La recherche d’un sens à la vie est parfois remplacée par la recherche du pouvoir, incluant sa forme la plus primitive, soit le désir de gagner toujours plus d’argent. Dans d’autres cas, c’est la recherche du plaisir qui y est substituée. C’est pourquoi la personne qui souffre de frustration existentielle essaie parfois de compenser le vide qu’elle éprouve en recherchant les plaisirs sexuels. » (Découvrir un sens à sa vie) Vicktor Frankl-Editions de l’Homme. En 1926, Frankl rompt avec les idées d’Adler, au cours du Congrès International de Psychologie Individuelle, duquel il est exclut, remettant en cause la vision de la personne humaine d’Adler, qu’il juge unidimensionnelle. A partir de cette époque les principes même de ce qu’il va appeler plus tard logothérapie sont appliqués. C’est auprès de jeunes adolescents qu’il entrevoit ce vide, ce déficit de sens qu’il nomme « vide existentiel » qui s’oppose au nihilisme qui hôte tout sens ainsi que toute dimension supérieure de l’être. C’est à cette époque qu’il va entrevoir dans sa relation de thérapeute la conception d’une personne non réductible à l’ensemble de ses déterminismes qu’ils soient biologiques, psychologiques, sociologiques. L’homme pour lui est mu par ce qu’il nomme une « noo dynamique » c’est-à-dire par une dimension spirituelle qui le porte constamment à chercher un sens sous le rapport d’un sens supérieur à accomplir A partir de cette perspective, Frankl postule que la dimension spirituelle définit le mouvement de l’existence humaine, à la fois capable de dépassement et de distanciation. Pour le fondateur de la logothérapie, la dimension noétique n’est pas accessible à la pathologie, elle est le lieu de la liberté de la volonté, de la volonté de sens et de l’affirmation du caractère sensé de la vie. La dynamique de l’existence est donc inséparable d‘une quête du sens indéfinie, en regard de laquelle le sujet est appelé à définir sa propre singularité. Mais, qu’est-ce que le sens ? Pour Frankl, la notion, tout comme l’expérience du sens sont indissociables de la notion de «valeurs»: la vie n’est existence qu’à partir du moment où elle est affirmation de valeur. La souffrance se conçoit d’abord comme « frustration du principe de sens », «vide existentiel», l’une et l’autre menant à la «névrose noogène», c’est-à-dire à la mise en crise du principe de sens. Dans les camps de la mort, trouver un sens à la vie ? On ne peut comprendre la profondeur de la pensée de Frankl qu’à partir du moment où on l’on peut la mettre en parallèle avec ce qu’il a vécu dans les camps de concentration .Sa carrière universitaire fut malheureusement brisée par la persécution nazie. Viktor Frankl fait l’expérience tragique des camps de concentration. Son père, sa mère, son frère, sa femme, tous furent envoyés aux chambres à gaz ; il fut le seul survivant avec sa sœur de toute sa famille. C’est là dans la souffrance la plus extrême qu’il se voit lutter pour survivre. Mais ce désir de vivre n’a de sens que s’il l’aide à comprendre son absurde souffrance. Survivre, ici, c’est trouver un sens à la souffrance. Si la vie devait avoir un sens, alors là, ici même dans le non-sens absolu, il lui fallait trouver son sens, trouver le sens de la souffrance, le sens de la mort dans l’infâme. Et c’est là dans son expérience des camps de concentration que fut développée chez lui cette étonnante interrogation sur les possibilités de bonheur et d’accomplissement offertes à l’homme ! Mais quelle possibilité d’accomplissement reste-t-il lorsqu’on est prisonnier, privé de ses proches, de ses vêtements, de lecture et d’écriture, de son avenir, lorsqu’on a froid, qu’on est exploité, humilié, brutalisé? Quelle possibilité de santé mentale dans ces situations extrêmes ? Quel sens donner à sa vie lorsque l’on vit le non-sens absolu d’une inhumanité permanente? Viktor Frankl, dans « Découvrir un sens à sa vie, affirme qu’on peut encore répondre positivement en s’appuyant sur des faits vécus. Les camps de concentration prouvent que l’être humain peut encore choisir, même dans des conditions extrêmes. Même si on le brutalise physiquement et moralement, l’homme peut préserver une partie de sa liberté spirituelle et de son indépendance d’esprit. » Le docteur Viktor Frankl relate les cas de ces prisonniers qui, dans les camps, allaient de baraque en baraque consoler leurs semblables et leur offrir leurs derniers morceaux de pain. Il nous prouve qu’on peut tout enlever à un homme à l’exception d’une chose, la dernière des libertés humaines, celle de décider de sa conduite et de sa dignité, quelles que soient les circonstances. « Le fait que j’ai survécu à quatre camps de concentration m’autorise à témoigner de l’aptitude incroyable de l’être humain à défier les pires conditions imaginables. Au camp, les prisonniers entraient dans une sorte « d’hibernation culturelle » entre la politique et la religion. Les manifestations religieuses étaient tout à fait authentiques. Les nouveaux venus étaient souvent frappés par l’intensité de la foi des prisonniers. Ils s’étonnaient d’entendre réciter des prières ou de voir célébrer des offices dans le coin d’une baraque. Malgré le caractère primitif de la vie concentrationnaire, le prisonnier pouvait y mener une vie spirituelle très riche. Grâce à elle il pouvait échapper à l’enfer du camp et retrouver une liberté intérieure. » Un vrai inconscient spirituel Viktor Frankl n’a pas plus d’attrait pour la psychanalyse freudienne que pour la psychologie des profondeurs de Jung. Au premier il reproche sa conception très matérialiste qui réduit l’homme à une mécanique, au second il ne cautionne pas la reconduction de la vie religieuse à des éléments de l’inconscient archaïque et collectif qui laissent de côté les décisions personnelles. Il y a pour Viktor Frankl un mystère de la personne qui n’est pas que le pur produit psychophysique. Si actuellement les gens souffrent beaucoup ce n’est pas parce qu’ils se sentent frustrés d’une certaine forme de plaisir mais parce que leur quête du sens est résolument empêchée totalement méconnue et inexprimée. Ainsi le vide existentiel éprouvé par notre humanité après les évènements dramatiques que nous avons vécu est à l’origine de nouveaux maux : dépressions, phobies, psychoses, addictions qui n’ont rien à voir avec des complexes d’Œdipe non résolus ou autre… Il y a vraiment une situation de perte de sens qui nourrit une vraie névrose collective. Si la quête de sens est empêchée, méconnue et inexprimée c’est bien que dans le cœur de l’homme se trouve un Dieu inconscient qui se manifeste en particulier à travers le dilemme moral et le sentiment de transcendance. Cette « religiosité » structure la psyché et, son refoulement, est un facteur de souffrance psychique selon Frankl. On aurait pu croire que Frankl puisse faire l’apologie de la mystique juive mais il n’en était rien. Il ne militait pas pour une religion universelle mais plutôt profondément personnalisée, une religion à partir de laquelle chacun puisse trouver son langage propre, sa langue la plus intime quand il s’adresse à Dieu. Roland Reymondier Conseiller en produits de nutrition Pour en savoir plus: Se procurer le livre » Découvrir un sens à sa vie » de Viktor Frankl aux Editions de l’Homme Note : Un psychologue contemporain, Jacques Lecomte, s’est inspiré de ce magnifique concept et de tous ses dérivés, totalement en phase avec notre époque actuelle. Voir son site: Psychologie positive