Le biomimétisme ou comment compter sur l’intelligence du vivant Photo barge rousse-Wikipédia – Un article de Gilles Corjon – « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas » Victor Hugo. Est il possible de concevoir un objet volant de moins de 1Kg capable de voler en continu sur plus de 10 000km en moins de 10 jours ? Pour la plupart des ingénieurs la réponse est négative et pourtant les zoologistes savent que c’est possible mais ce n’est pas un objet …mais un oiseau appelé la barge rousse qui est capable de cette prouesse. Cet oiseau migrateur limicole accomplit la traversée menant de l’Alaska jusqu’à la nouvelle Zélande sans escale et sans ravitaillement en moins de 10jours. Au cours de ce périple , la barge rousse perd plus de 45% de son poids accumulé au départ sous forme de graisses de réserve. Au bout du 7ème jour, ces réserves sont épuisées …alors elle se met à consommer les protéines des muscles de ses ailes qui sont surdimensionnées par rapport à son poids ! Mais l’ingéniosité ne s’arrête pas là : cet oiseau a aussi la capacité d’anticiper la formation des cyclones pour adapter ses dates de début de migration et optimiser ses plans de vol. Pourquoi parler de cet oiseau migrateur ? Parce qu’il représente aux yeux de nombreux chercheurs en biomimétisme un modèle d’efficacité énergétique dont les hommes devraient s’inspirer pour construire le futur. Le biomimétisme du grec bios (vie) et mimésis (imitation) est une discipline scientifique qui s’inspire du vivant pour concevoir des produits , des procédés ou même des systèmes d’organisation humains innovants et compatibles avec l’ensemble de la biosphère. Ce concept de transfert de la biologie vers la technologie n’est pas nouveau, puisque les machines volantes de Léonard de Vinci étaient largement inspirées de l’observation de l’anatomie et du vol des oiseaux. Plus près de nous , en 1865, le français Louis François Janin fasciné par les haies infranchissables des ronciers met au point ce qui deviendra le fil de fer barbelé que l’américain Michaël Kelly imposera en 1868. Vous connaissez surement Georges de Mestral , cet ingénieur suisse qui invente le Velcro après avoir observé les fruits accrocheurs de la bardane. Le premier niveau du biomimétisme consiste essentiellement à mimer les formes ou les structures du vivant pour créer des réalisations durables et économes en énergie dans des domaines comme l’aéronautique, la construction, la fabrication d’éoliennes plus efficaces et moins bruyantes ou la captation de l’eau dans des zones très sèches. Le domaine végétal n’est pas en reste dans cette aventure. Citons l’exemple du lotus sacré (Nelumbo nucifera) dont les larges feuilles flottantes sont particulièrement hydrofuges. L’eau et même d’autres liquides plus poisseux n’adhèrent pas à la feuille et glissent dessus comme des perles. Cette hyperhydrophobie est causée par une rugosité nanométrique dont s’est inspirée l’industrie pour réaliser des revêtements autonettoyants. L’effet lotus que l’on trouve chez d’autres plantes comme la capucine , a été découvert en 1976 par le biologiste allemand Wilhem Barthlott. Dans la même veine, la salvinie géante (Salvinia molesta) est une fougère aquatique originaire du Brésil qui constitue une menace pour la biodiversité en raison de son caractère invasif . Cependant cette plante très hydrophobe qui se recouvre d’une très fine couche d’air au contact de l’eau pourrait permettre de construire des coques de bateau beaucoup plus efficaces en réduisant les frottements entre le navire et l’eau. Le deuxième niveau du biomimétisme est celui des procédés de fabrication industrielle des matériaux comme le verre , le ciment ou les emballages qui exigent des hautes températures , des pressions élevées ou des solvants toxiques et rémanents. Là également, nous pouvons compter sur la chimie créatrice du vivant dont les laboratoires fonctionnent depuis plus de 3 milliards d’années. Ainsi, des organismes planctoniques comme les radiolaires ou les diatomées sont capables de synthétiser des fibres de verre comparables à celles fabriquées par l’homme à la différence qu’elles sont produites à basse température. Un autre exemple est celui du fil d’araignée qui est doté d’une résistance supérieure à celle de l’acier malgré sa finesse. Il possède en plus une grande élasticité et peut s’allonger de 40% sans se rompre. Cette propriété a été mise à profit pour fabriquer des cordes légères utilisées en alpinisme. le troisième niveau du biomimétisme concerne les systèmes et coïncide avec l’émergence d’un concept renouvelé du biomimétisme actuellement en plein essor . Il consiste à s’inspirer des principes de fonctionnement et d’organisation des écosystèmes pour optimiser les ressources et les flux d’énergie et ainsi transformer profondément nos systèmes économiques, industriels et nos modèles sociaux-culturels. Si on observe des écosystèmes complexes comme les récifs coralliens ou les forêts primaires, on découvre une grande diversité biologique, un fort recyclage des ressources et des interactions fondées en majorité sur la coopération et le mutualisme. La circularité des échanges du monde vivant lui permet de s’autoréguler et d’opérer en permanence des ajustements adaptatifs d’une incroyable ingéniosité. A l’échelle de la biosphère, les écosystèmes sont intégralement connectés entre eux …. Le concept de permaculture qui a été fondé en observant les cultures aborigènes et les écosystèmes forestiers est un bon exemple de biomimétisme systémique. Cette forme d’agriculture présente l’avantage de pouvoir se pratiquer sous tous les climats, elle ne fait appel à aucun intrant et minimalise les interventions humaines pour assurer une production durable qui invite également à renouer des liens sociaux authentiques. En 2008 dans une conférence intitulée » les fondements de nos sociétés sont ils contre nature ? », je faisais le constat que l’impact des activités humaines sur l’ensemble de notre planète est si destructeur que nous hypothéquons les ressources naturelles des générations futures. La véritable urgence est donc de rétablir le lien avec le Vivant et de changer notre relation au monde en allant vers la transversalité comme nous l’enseigne la nature. Je partage l’avis de Gilles Bœuf reconnu pour ses travaux sur la biodiversité lorsqu’il dit » il faut suivre le modèle du vivant pour survivre » . La révolution biomimétique est-elle en route? Gilles Corjon Pour en savoir plus: Janine Benyus : Biomimicry innovation inspired by nature https://biomimicry.org/janine-benyus/ en français : biomimétisme : quand la Nature inspire des innovations durables ( Ed Rue de l’échiquier) Gauthier Chapelle : vivant comme modèle Albin Michel Le centre européen d’excellence en biomimétisme / CEEBIOS https://ceebios.com/ Mathieu Andrée , Lebel Moana : l’art d’imiter la nature : le biomimétisme ( Ed Multimondes)