Un an après Fukushima, quel est l’impact sanitaire de la catastrophe nucléaire ? Vu sur le site novethic, publié le 09/03/2012, article de Béatrice Héraud. Un an après l’accident nucléaire provoqué par le tsunami et le tremblement de terre japonais, la situation de la centrale de Fukushima Daiichi est « encore précaire » mais s’est « nettement améliorée » selon l’IRSN. Cependant, la contamination est « chronique » et « pérenne ».Les populations touchées et les travailleurs de la centrale font donc aujourd’hui l’objet d’un contrôle sanitaire pour en mesurer l’impact. Seulement les données sont incomplètes… A quelques jours de la commémoration de l’accident nucléaire de la centrale japonaise Fukushima Daiichi, l’IRSN se veut rassurant : « malgré la persistance de rejets diffus –sans commune mesure avec ceux de l’accident- de substances radioactives et de l’inétanchéité de la superstructure qui recouvre le réacteur n°1, la situation est encore précaire mais s’est nettement améliorée », affirme Thierry Charles, le directeur adjoint chargé de la sûreté des installations et des systèmes nucléaires. Depuis un an, « les choses ont beaucoup changé et d’importants moyens ont été déployés par Tepco pour stabiliser la situation », poursuit-il. Mais si l’on peut désormais compter sur « une certaine robustesse » des installations grâce notamment à la multiplication des dispositifs destinés à maintenir un refroidissement des combustibles, « une vigilance permanente est absolument nécessaire pour être prêts à agir immédiatement en cas de problème », souligne-t-il. Une contamination de longue durée Car l’accident n’est pas tout à fait terminé. Ses conséquences environnementales et sanitaires se feront sentir pendant longtemps encore. « La contamination est chronique et pérenne autour de la centrale due au césium 137 » dont la durée de vie est extrêmement longue, précise en effet Didier Champion, directeur de la crise de l’IRSN et spécialiste des conséquences environnementales de la radioactivité. Et elle se perpétue notamment dans la chaîne alimentaire : certains légumes ou fruits comme les abricots, le thé, les pousses de bambous les châtaignes, etc n’ont pas été immédiatement touchés par les rejets mais font face à une contamination différée, par la sève de leurs racines. Quant aux produits de la mer, « le phénomène de dilution active dans l’eau a été favorable à la diminution de l’impact de l’accident dans les eaux côtières » mais il demeure indispensable de « maintenir la surveillance des espèces marines pêchées » sur le littoral. Or, jusqu’à présent la surveillance des poissons s’est faite davantage de façon « réactive » plutôt que de façon « préventive », déplore Didier Champion. « Il est certes interdit de pêcher aux abords de Fukushima mais pour surveiller la contamination, on se contente de pêcher quelques poissons de temps en temps. C’est largement insuffisant », dénonce Hiroko Aihara, une journaliste japonaise qui a beaucoup traité la catastrophe de Fukushima. Quels seront les effets des rejets dus à l’accident et de cette contamination pérenne sur l’homme ? Le gouvernement japonais a annoncé toute une série d’études et de suivi médical pour la population et les travailleurs de la centrale. Ainsi, 720 millions d’euros ont été débloqués pour mener 4 études épidémiologiques sur 30 ans. La première doit évaluer les doses externes reçues par les 2 millions de personnes qui se trouvaient dans la région de Fukushima lors de l’accident. Les trois autres devraient permettre de suivre l’état de santé de groupes spécifiques : les quelque 200 000 personnes évacuées, les 20 000 femmes enceintes au moment de l’accident et les 360 000 enfants de la Préfecture qui pourraient développer un cancer de la thyroïde. Quant aux travailleurs, évalués au total à 80 000 (20 000 travailleurs du nucléaire auxquels on ajoute les pompiers, les élus locaux, les policiers, les agents de la sécurité civile, etc.), « une base de données rassemblant les informations relatives à leur suivi médical » est actuellement en cours, indique l’IRSN. Chaque travailleur, y compris ceux qui n’opèrent plus à la centrale bénéficiera d’un suivi médical « de base », ainsi que d’analyses biologiques et d’une évaluation psychologique. Ceux ayant reçu une dose supérieure à 50 mSv seront spécifiquement suivis pour détecter l’apparition de cataracte mais seuls ceux ayant reçu une dose supérieure à 100 mSv bénéficieront d’examens complémentaires visant à détecter des dysfonctionnements thyroïdiens ou certains cancers. Un déficit de données Or, de nombreux doutes et manques entourent ces études déplore Jean-René Jourdain, adjoint à la directrice de la protection de l’homme de l’IRSN. Pour la population, les mesures de radioactivité ont été réalisées « trop tard » et la première étude épidémiologique -qui se contente de déclarations des personnes concernées, des mois après l’accident-, ne peut dès lors, que donner lieu à des « évaluations grossières ». Par ailleurs, la mesure de la radioactivité dans la tyroïde des habitants aurait du être systématique dans les premiers jours de l’accident, ce qui n’a pas été le cas. Or, « il est désormais trop tard pour le faire car l’iode a une durée de vie très limitée dans l’organisme », note Jean-René Jourdain. Quant aux effets du césium, « il ne semble pas qu’il y ait une volonté gouvernementale de réaliser une observation massive » sur ses effets sanitaires. Par ailleurs, il n’existe pas de connaissance précise sur la consommation de produits contaminés qui provoquerait une « contamination interne », souligne-t-il. Surtout, c’est la situation des travailleurs qui apparaît comme plus préoccupante du fait du « filtre Tepco » comme le nomme le spécialiste de l’IRSN. Le bilan des doses reçues par les salariés et sous-traitants de Tepco communiqués par la firme est en effet surprenant : seuls 6 travailleurs auraient reçus des doses supérieures à 250 mSv, essentiellement en raison de l’inhalation d’iode 131 dans les premiers jours du fait de l’absence de port de masque. Mais « cela est impossible à vérifier et aucune information, ou alors très partielle, n’a été communiqué sur la façon dont ont été mesurées ces doses car tous ne portaient pas de dosimètre dans les premiers jours. Et aucune données sur les autres catégories de travailleurs », fait remarquer Jean-René Jourdain. A ce jour, « six décès de travailleurs ont été enregistrés, parmi lesquels aucun ne serait attribuable à une exposition aux rayonnements ionisants, selon les indications des autorités japonaises », note l’IRSN. Les médecins ne sont guères loquaces sur le sujet, précise le spécialiste « mais en « off », certains nous disent qu’ils n’excluent pas un lien de causalité ». Par ailleurs, alors que la contamination chronique à laquelle doit faire face la population implique l’exposition à de faible dose de radioactivité mais sur longue durée, ses effets sont mal étudiés encore aujourd’hui malgré un fort débat sur le sujet. L’IRSN dit attendre les conclusions de travaux de recherche en cours sur le sujet pour être fixée sur les conséquences sanitaire d’une telle exposition…Pour Aileen Mioko Smith, la directrice exécutive de l’ONG anti nucléaire japonaise Green Action, « le principal problème » aujourd’hui vient d’ailleurs des limites d’exposition à la radioactivité fixées par le gouvernement. « Le seuil d’exposition annuel a été fixé à 20 mSv. En dessous de ce seuil, on ne reconnaît pas aux citoyens d’être officiellement évacués, alors que nombre d’entre eux le demandent. A Tchernobyl, l’évacuation s’est faite à des seuils moins élevés que cela », dénonce-t-elle. Avant de conclure : « tout un pan du gouvernement japonais empêche la communauté internationale de mener des investigations, tant sur la situation sanitaire, que sur la violation des droits de l’homme et la contamination environnementale de l’accident de Fukushima. » Béatrice Héraud © 2012 Novethic – Tous droits réservés