De « Corps et âmes » au Dr Paul Carton Photo France Culture – Si vous n’avez pas encore soixante ans, il y a peu de chance que vous connaissiez le grand écrivain que fut Maxence Van der Meersch …. Cet homme trouve en mon cœur une place de choix par le fait qu’il a écrit « Pécheurs d’hommes » qui retrace les début d’un mouvement qu’on nomme JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) dans lequel j’ai longuement milité durant mon adolescence. Un autre ouvrage « corps et âmes » nous décrit la médecine naturelle du docteur Paul Carton qui a inspiré lui aussi mon engagement dans Acteur nature. En fait, cet auteur a reçu le prix de l’académie française en 1943 pour ce très beau livre qui est son plus grand succès, et qui a été traduit en treize langues. Ce roman a pour cadre la ville d’Angers en 1937 et 1938. C’est une fresque sociale sur la pratique de la médecine. Il est inspiré par la vie du Docteur Paul Carton, un grand personnage de la médecine naturelle, pour qui il éprouve une admiration profonde car il lui attribue la survie de Thérèse son épouse, atteinte de tuberculose comme le fut le docteur Carton. Il expliqua le choix du sujet de ce roman dans un ouvrage: « Pourquoi j’ai écrit Corps et âmes. » Critique du monde médical de l’époque Les critiques du monde médical s’inscrivent donc en 1943 dans deux tomes de « Corps et âme ». L’action se situe à Angers en 1937 et 1938 et se termine au moment des accords de Munich. Dans ces deux ouvrages, Maxence fait un tableau peu reluisant des pratiques médicales relevant des pathologies mentales et liées à la tuberculose. Il décrit sans concession le milieu asilaire de l’époque avec son quartier des agités, un univers carcéral où les infirmiers sont plus des gardes chiourmes que des soignants et, avec un médecin psychiatre pour trois mille malades, qui risque parfois sa vie. Maxence Van Der Meersch décrit avec un réalisme incroyable une séance de convulsivothérapie par cardiazol qui aboutit à des fractures spontanées. On commence à parler d’électrochocs et des comas insuliniques. Toutes ces thérapies « barbares » basées sur le fait qu’il faut « créer » un choc pour rétablir les fonctions normales du cerveau. Quand à la médecine, depuis le début du siècle, elle voulait s’ériger en science mais, pour cet auteur, elle s’était « dégagée » de l’empirisme, de la philosophie et d’un art de vivre sain, pour n’être qu’une pourvoyeuse de médicaments issue de l’industrie chimique (nous sommes en 1943). A cette époque la tuberculose, surtout sous sa forme pulmonaire, fait des ravages. L’auteur dresse un état des moyens mis en œuvre pour la combattre : le dépistage, la prophylaxie, le diagnostic clinique, radiologique, bactériologique. Ainsi, il décrit très bien les techniques de laboratoire. Il est sans illusion sur les thérapies du moment qui se limitaient au repos, à la climatologie, à la prescription de fortifiants, de viandes de cheval, de lavages bronchiques, de ponctions pleurales, de pneumothorax, de thoracoplastie et bien d’autres…. Mais surtout Maxence Van der Meersch déplore l’aspect inhumain que cette médecine engendre avec un portrait sans complaisance de l’ensemble du corps médical hospitalier. Maxence Van Der Meersch prend le parti du Dr Carton Le docteur Paul Carton s’était guéri au début du siècle dernier avec une synthèse alimentaire qui allait porter son nom. Maxence devint le partisan prosélyte de cette méthode. Paul Carton considérait que l’alimentation dans le cadre de la société d’alors était toxique. Il affirmait « l’aliment actuel est une substance qui excite, nourrit et intoxique » « les poisons de l’alimentation ont leur toxicité propre » « la viande est excitante et toxique… les aliments acides sont dangereux parmi lesquels viennent en tête le sucre, l’alcool, les graisses , la viande et les aliments concentrés » Pour Carton l’intoxication alimentaire due à la suralimentation, aux aliments concentrés et acides conduit à l’arthritisme. En fait, ce que Carton nommait arthritisme n’était pas une maladie rhumatismale mais englobait une multitude de pathologies qui touchaient tous les systèmes du corps humain. Cela s’apparentait à ce que l’on pourrait nommer actuellement une acidification humorale ou encore un déséquilibre acido-basique… Pour Carton, le bacille de Koch, responsable de la tuberculose, n’a pas un rôle prédominant. En fait, il se développe sur un terrain débilité et miné par une alimentation « toxique ». Pour lui, nul doute, restaurer les défenses de l’organisme passe par un régime sain et déconcentré. Il faut abandonner la viande, l’emploi d’un peu d’œufs est permis (mais parfois la moitié, voire le quart d’un œuf), des céréales mais pas forcément complètes avec une variété de blé bien particulière, du blé germé, quelques fruits et légumes non acides, peu de fromage et parfois un dessert non sucré. Les méthodes de cuisson à plusieurs eaux devaient pour Carton permettre de « déconcentrer » l’aliment. Paul Carton : une médecine humaniste Maxence Van Der Meersch abonde dans le sens du Dr Carton, ce qui l’amène à écrire une critique de la médecine scientifique officielle qui confondait le symptôme et la maladie sans se préoccuper de l’état humoral et du terrain. Pour lui, comme pour Carton, les médicaments sont des poisons supplémentaires , les traitements physiques, les examens invasifs sont dangereux et imposent souvent des tortures inutiles, des dépistages invasifs et parfois de véritables acharnements thérapeutiques. Il n’y a qu’une voie : celle d’une médecine de la personne qui soigne tout à la fois le corps et l’esprit. Carton remet en question une médecine qui soigne le corps comme une belle mécanique dépourvue d’âme. A cette époque, dans son ouvrage, Maxence décrit les présentations publiques de malades et les nombreuses humiliations des examens répétés en salle commune. Il déplore simplement le manque total d’humanisme dans ce monde médical. « Corps et âme » va créer en son temps un remous médiatique encore plus important que ceux que nous connaissons autour des scandales du Médiator et autres. Le monde médiatique supporte mal en général la peinture qu’il a faite du corps médical. Cependant, au vu du succès qu’il rencontre au travers de cette œuvre, Maxence accepte d’assumer ces attaques. Il endosse la responsabilité de ses écrits sur une médecine qui n’a pas à ses yeux un visage humain. Rappelons qu’avec Maxence Van der Meersch, nous avons de la belle littérature couronnée par un prix de l’Académie Française. C’est une fresque du Monde Ouvrier, des petites gens, des besogneux et laissés pour compte, mais aussi le tableau noir d’une médecine tellement imbue de son « scientisme » qu’elle en a oublié le bien le plus précieux : l’humain. Roland Reymondier