Oxfam demande à la Banque Mondiale de freiner l’accaparement des terres Alors même que les prix alimentaires flambent pour la troisième fois en quatre ans, Oxfam publie un rapport sur la croissance de l’accaparement des terres dans les pays en développement par des investisseurs étrangers. Elle demande à la Banque Mondiale, en tant qu’investisseur foncier et conseiller auprès des pays en développement, un gel temporaire de ces acquisitions dont les produits sont destinés à l’exportation ou à des cultures non alimentaires. Entre la mi-2008 et 2009, (article de Véronique Smée) Le 4 10 2012 © 2012 Novethic – Tous droits réservés le nombre de transactions foncières agricoles effectuées par des investisseurs étrangers dans des pays en développement a cru d’environ 200 %, indique Oxfam dans son nouveau rapport publié le 4 octobre. Et si, comme le rappelle l’ONG, les acquisitions de terres à grande échelle ont été bien accueillies par les gouvernements de ces pays, qui les voyaient alors comme une solution à la pénurie alimentaire, « quatre ans plus tard, il devient évident que non seulement les espoirs concernant une sécurité alimentaire accrue se sont révélés infondés, mais que, de fait, c’est trop souvent le contraire qui s’est produit ». Pour autant, les gouvernements de ces pays continuent à signer ces contrats…Oxfam affirme que plus de 60 % des investissements étrangers dans des terres agricoles réalisés entre 2000 et 2010 ont eu lieu dans des pays en développement gravement touchés par le problème de la faim. Or, les deux tiers de ces investisseurs exportent tout ce qu’ils produisent sur ces terres. Et près de 60 % des transactions foncières conclues au cours des dix dernières années dans le monde étaient destinées à des cultures pouvant servir à la production d’agrocarburants. Une superficie égale à plus de trois fois la taille de la France métropolitaine a ainsi été accaparée dans le monde au cours des dix dernières années. L’accaparement, ici, correspond à une définition précise : les acquisitions deviennent des accaparements de terres lorsqu’elles violent les droits humains, passent outre les principes de « consentement libre, informé et préalable (CLIP) » des populations locales, ne se basent pas sur une évaluation approfondie des impacts sociaux, économiques et environnementaux, se font sans contrats transparents concernant l’emploi et le partage des avantages et se déroulent sans processus démocratique. Sécuriser l’approvisionnement des pays riches A ce titre, non seulement ces investissements massifs privent la population de ressources alimentaires, mais ils peuvent engendrer aussi l’expropriation, parfois violente, des producteurs locaux, qui perdent ainsi les moyens de subvenir à leurs besoins. Au Liberia par exemple, 30 % du territoire national a fait l’objet de transactions foncières en seulement cinq ans. Or, prévient Oxfam, actuellement les prix alimentaires flambent pour la troisième fois en quatre ans et « les terres risquent de susciter un intérêt encore plus vif si les pays riches tentent de protéger leurs sources d’approvisionnement en produits alimentaires et si les investisseurs voient la terre comme un bon pari à long terme ». Ainsi la surface consacrée à la production d’huile de palme a-t-elle été multipliée quasiment par huit au cours des 20 dernières années. Elle atteint -selon les estimations- 7,8 millions d’hectares en 2010 et il est prévu qu’elle doublera d’ici à 2020. D’autres utilisations économiques telles que la séquestration du carbone, la production d’agrocarburants, de bois de construction et d’autres cultures non alimentaires sont appelées à se développer. Autant d’utilisations qui « entreront en conflit direct avec le besoin de terres supplémentaires pour nourrir une population mondiale croissante », constate Oxfam. Pouvoir de la Banque mondiale Des mesures urgentes sont donc nécessaires pour désamorcer la menace d’une nouvelle vague d’accaparements de terres, explique l’ONG, qui fait appel à la Banque mondiale, déjà sollicitée ces dernières années par plusieurs coalitions pour son rôle dans le processus d’acquisition des terres. L’institution financière a en effet « le pouvoir d’appliquer, au moins temporairement, un gel de ses investissements dans des terres agricoles », estime Oxfam, « le temps de revoir ses politiques en la matière dans les pays en développement, d’œuvrer à la définition de normes pour les investisseurs et de mettre en place des mesures plus rigoureuses pour prévenir l’accaparement des terres ». Par son rôle d’investisseur foncier et, en même temps, de conseiller auprès des pays en développement, la Banque mondiale occupe une position stratégique. Or, « il ressort d’une de ses propres études que les pays enregistrant le plus de transactions foncières à grande échelle sont ceux où la protection des droits fonciers est la plus faible », souligne le rapport. Depuis 2008, 21 plaintes ont été officiellement déposées par des communautés estimant que des projets de la Banque mondiale violaient leurs droits fonciers. Oxfam espère voir des avancées à la prochaine assemblée annuelle de la Banque mondiale, qui se déroulera à Tokyo du 12 au 14 octobre, et l’enjoint à « envoyer aux investisseurs du monde entier un signal fort » pour « mettre fin à l’accaparement des terres et améliorer les normes » notamment en matière de transparence. Déjà en 2010, Grain avait soulevé le manque d’informations de ces investissements. « Quelle est la proportion des investissements privés ou publics ? Quels sont leurs objectifs ? Il s’avère en fin de compte que des entreprises refusent de communiquer des informations sur leurs investissements dans des terres agricoles, tout comme des gouvernements qui fournissent les terres » expliquait l’ONG. Dans une étude publiée le 31 août dernier, Grain souligne que « la plupart des gouvernements veulent conclure ces contrats, ils les signent, et ils répriment souvent les communautés qui se soulèvent et s’opposent aux expulsions (…) Dans quelques pays seulement, il existe des députés, des tribunaux, des fonctionnaires et des partis politiques qui essaient de fixer des limites élémentaires aux acquisitions de terres agricoles face à l’intérêt croissant des investisseurs étrangers ». Véronique Smée © 2012 Novethic – Tous droits réservés Pour en savoir plus, cliquez ICI