Rappelez-vous septembre 2002, sur France Inter : Jean-Marie Pelt

220px-Jm_peltPhoto Wikipédia – Il y a 16 ans, Jean-Marie Pelt prenait la parole pour la première fois dans l’émission « CO2 mon Amour » animée par Denis Cheyssoux sur France Inter et, il allait devenir le pédagogue hors norme que l’on a connu pour la nouvelle génération. Pharmacien, botaniste, biologiste, pharmacologue il fut écologiste dès 1963. Il nous a quitté le 23 décembre 2015 à l’âge de 82 ans.

Il a été l’une des figures les plus marquantes mais aussi des plus singulières de l’écologie. Son engagement écologique se situe au croisement de la science et de la foi chrétienne avec un très fort positionnement social et humanitaire.

Jean-Marie Pelt a sûrement inspiré notre ami Gilles Corjon pour se lancer dans l’aventure de l’herboristerie.

C’est en 1959 qu’il obtient son doctorat de pharmacie et il sera maître de conférences seulement trois ans plus tard. Il va se distinguer en un premier temps par des travaux en ethnobotanique. Puis, dans les années 1960, il va herboriser dans les montagnes d’Afghanistan pour publier ensuite des travaux sur les plantes endémiques de l’Hindou Kouch et leurs qualités pharmacologiques.

Dès cette époque, il sut s’introduire dans une multitude de contrées désormais inaccessibles ; Afghanistan, Syrie, Irak, Yémen. Sa passion pour la botanique le conduira en Côte d’Ivoire, au Togo, au Maroc et il était tout à la fois pharmacologue et un étudiant du monde et de ses merveilles.

En 1972, il est nommé professeur de biologie végétale et de pharmacognosie à l’université de Metz, chaire qu’il tiendra jusqu’à sa retraite.

Un homme d’engagement.

Dans les années 1950, il devient secrétaire particulier et confident de Robert Schuman, auquel il consacrera un livre « Robert Schuman, père de l’Europe »

Avant la prise en compte de l’écologie comme élément politique, il fut le défenseur d’une écologie urbaine en faisant de Metz le laboratoire d’une ville jardin plus juste et harmonieuse. Entré au conseil municipal de Metz en 1970, il fonde l’Institut européen d’écologie (IEE) dont il restera président jusqu’à son décès. N’oublions jamais que toute sa vie fut portée par l’idée suivant laquelle l’écologie devait trouver avant tout une application pratique.

Son idée de la politique est bien différente de la plupart de ceux qui en vivent. Lui, c’est avec pragmatisme et détermination qu’il va changer l’art de vivre en ville. Ainsi, en devenant le premier adjoint au maire de Metz entre 1971 et 1983, il sera le pilier de la sauvegarde du patrimoine historique et environnemental de sa ville.

Un militant actif et un homme de foi

Dans les années 1990, il sera le fer de lance de l’opposition aux cultures transgéniques. En 1999, il fonde avec Corinne Lepage « le comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique ». Ceci bien entendu lui vaudra de très nombreuses inimitiés dans le monde agricole.

Cependant, son idéal était de pouvoir réconcilier le monde de la science et celui de la foi tout en montrant que la rationalité de la pratique scientifique ne s’opposait nullement avec le sentiment religieux. On lui a fait souvent le procès en créationnisme alors qu’en fait il était avant tout un scientifique d’un extrême pragmatisme qui voyait la signature de Dieu ou d’autres se polarisaient sur le simple « hasard ».

Il avait une méfiance profonde dans les vertus de ce que l’on nomme progrès scientifique et il demandait de « s’arrêter, ne serait-ce qu’un instant, de descendre du train emballé du progrès tout en regardant aux alentours pour percevoir les plaintes d’une nature épuisée, d’hommes et de femmes harassés, désorientés par cette fuite en avant éperdue qu’ils s’imposent et qui les annihile peu à peu. »

Jean-Marie Pelt incarnait un versant assez conservateur de l’écologie politique, très attaché aux terroirs, à la ruralité mais peu enthousiaste pour les métissages culturels.

Cependant, tout en ayant une foi chevillée au cœur, il n’a cessé de dire que l’apocalypse écologique était la conséquence d’une démographie galopante. Pour lui, nul doute que ce n’est pas la terre qu’il fallait sauver car la terre peut continuer sa ronde sans nous : c’est l’espèce humaine qu’il faut protéger.

Comme nous l’avons exprimé bien souvent, il était aussi opposé à l’idée de croissance qui se présente un peu comme une forme de cancer pour la terre toute entière.

Lui, se positionnait par la pratique d’une sobriété heureuse et la culture de la simplicité. Le toujours plus d’une société marchande ne l’enchantait pas et il dénonçait la loi du plus fort. Il allait jusqu’à déclarer que chez les singes les plus évolués, le chef du clan n’était pas celui qui imposait sa volonté mais celui qui était le plus bon et le plus harmonisant.

Quand on lui parlait de ses prises de positions en faveur de sa foi religieuse, il disait que la science elle-même pouvait s’ériger en une religion avec son credo et ses actes de foi ce qui, a son sens, était une autre dérive toute aussi grave sur le plan moral et éthique.

Laissons-lui la parole:

« Dans mon livre Nature et spiritualité, j’ai, quant à moi, évoqué les grandes spiritualités du monde. Notons aussi que la science peut dériver en une religion : le scientisme. C’est net, dans le monde de la biologie il y a deux « divinités » : l’ADN et le darwinisme. Si l’on n’y prend garde, dans le monde scientifique, le scientisme dur s’installe, matérialiste et athée. Je suis très préoccupé du fait que, pour beaucoup de gens, darwinisme signifie athéisme, association qui a été renforcée par nombre de disciples de Darwin. Il en résulte que, quand on enseigne le darwinisme, on postule de facto l’athéisme. Ainsi, tous les jeunes de tous les lycées et universités sont fabriqués athées, par culture. On traite les livres de la Bible notamment la Genèse, comme les archives de l’histoire, comme des explications aujourd’hui dépassées. On doit dire et redire que les textes sur la Création sont des mythes et qu’il ne faut pas y chercher de vérités scientifiques ou historiques mais un message spirituel.

L’immense majorité des gens, ignorant la vraie portée de ces textes, pense que :
– le monde s’est fait tout seul ;
– avec le seul hasard ;
– qu’il faut remiser la Bible dans la cave.
C’est là pour moi une immense préoccupation. »
Jean-Marie Pelt

Laissons-lui encore la parole pour ce qui touche à l’écologie :

 » On use de la terre en dilapidant le patrimoine. Un patrimoine, en principe, cela rapporte, mais si on « tape dedans », un déséquilibre s’instaure. Il y a cette notion d’empreinte écologique, c’est-à-dire la quantité de patrimoine naturel qu’use un Terrien : 2,7 ha, à peu près ; c’est plus que la terre ne peut donner. Elle ne peut donner que les ressources de 2,1ha et l’on est 30 % au-dessus de ce critère depuis les années 80. De plus, le mouvement s’accélère et les clignotants sont au rouge. Cette notion d’empreinte écologique est très parlante parce qu’on réalise que ce sont les pays riches qui sont le plus au-dessus des possibilités de la Terre. Deux pays le sont en particulier : les Émirats Arabes Unis qui n’ont pas de ressources du sol (les ressources du sous-sol ne sont pas intégrées) et les USA. Si tout le monde vivait comme ces deux pays, il faudrait près de cinq planètes pour satisfaire les besoins. Il est impensable, par conséquent, que tous les terriens puissent vivre à ce niveau d’empreinte écologique. On voit donc que le mode de développement actuel, celui des pays riches, n’est pas possible pour la planète toute entière. La question est donc : comment se fait-il que cela marche encore ? Simplement parce que des pays comme l’Afghanistan ou comme Haïti, qui sont d’une pauvreté extrême, rétablissent à peu près la moyenne. Cela montre aussi l’effroyable manque de justice qui existe aujourd’hui entre le Nord et le Sud. Même entre les pays du Nord, la fourchette des revenus s’élargit toujours plus, alors qu’elle devrait peu à peu se rétrécir. Il y a là un défi que le capitalisme a perdu : la capacité à être un peu équitable. »

Le détenteur d’un savoir authentique

Jean-Marie Pelt disait aussi qu’au début du siècle dernier, en France, 50000 personnes étaient capables d’identifier les plantes dans la nature alors qu’actuellement il n’y en a que 5000 et que tout le monde parle d’un retour en force des plantes médicinales…

Cet homme était le prototype du « savant encyclopédiste » à l’ancienne qui, comme le professeur Monod avait une connaissance réelle du monde végétal. On pourrait ajouter : un savoir non pas livresque ou simplement universitaire, mais un savoir lié à l’observation et l’interrogation sur le monde du vivant.


Interview de Jean-Marie Pelt (1) par supervielle

Jean-Marie Pelt nous a quitté en toute simplicité. Il incarne à lui seul toute notre philosophie faite d’humanisme et de recherche d’un savoir perdu sur le monde végétal. C’est ce qui nous le rend si proche.

Acteur-Nature