Un salon de l’agriculture au détriment de l’humain !

Copie de photos Abiessence et lauvitel fin juin 2012 008François Hollande a été chahuté par nos paysans… mais en fait quels agriculteurs aujourd’hui ont une vraie envie de célébrer un salon dont ils ne voient plus les fondements essentiels.
Chaque jour un agriculteur se donne la mort dans notre pays…car il ne peut vivre décemment de son activité et qu’il est aux abois à cause

d’endettements liés aux charges de son exploitation devenue industrielle.

Presque personne ne s’en indigne. Alors, si nous avions la verve d’un Zola, nous pourrions crier très fort « j’accuse! »

Mais accuser qui et quoi ?

Ne serait-il pas plus sage de constater que c’est collectivement que nous sommes responsables.

Certains vont affirmer que les grandes surfaces portent la responsabilité du problème… mais en fait ceux qui font ce constat ne font-ils pas fonctionner à plein ces temples de la consommation ?

Actuellement, jamais les français n’ont aussi peu dépensé pour ce qui touche au fondement de la santé : l’alimentation.

Quand on ne veut qu’un prix, on finit par le trouver. Le mode d’exploitation actuel est tellement lié à la productivité qu’il en est devenu inhumain !

Comment en est-on arrivé là ?

Presque chacun d’entre nous est issu du monde rural.

Dans les années 1950, la France dans son ensemble est une population rurale et comptait 2,5 millions d’agriculteurs qui exploitaient 35 millions d’hectares utiles. La taille moyenne de l’exploitation française se situe alors sur une surface de 15 hectares. A cette époque, ces familles d’agriculteurs sont pauvres mais elles mangent à leur faim, elles vivent dans un habitat exigu, l’eau courante est un luxe et l’on va chercher au puits du village cette denrée précieuse au fur et à mesure des besoins quotidiens. Les wc sont au fond du jardin, un espace digne de la chanson de Cabrel où bien sûr on ne s’attarde pas, surtout en hiver.

Les familles vivent sur le lieu de travail et l’exploitation sert avant tout à faire vivre la famille ou sens alimentaire du terme. Le congélateur et le réfrigérateur n’existent pas, on consomme des produits frais et on fait des provisions pour les périodes hivernales.

Toutes les fermes produisent les aliments nécessaires. Ainsi, voici ce qui apparaît :

* Une ou deux vaches pour les besoins en lait de la famille; le lait ne se conservant pas, on en boit une petite partie, le reste permet de fabriquer beurre et fromages.

* On élève quelques porcs qu’on nourrit avec les restes des repas familiaux auxquels on apporte un complément de pommes de terre et de céréales…Et puis, chacun le sait, le porc mange tout et n’importe quoi qui vient de la nature.

* Deux ou trois fois par an, on tue le cochon et là, c’est la fête au village. A cette époque, on ne va pas aux abattoirs. C’est dans la cour de la ferme que le spectacle à lieu. Le fermier le plus expérimenté va se livrer à la mise à mort de l’animal comme un sacrifice pour le bien de la communauté. Celui qui a vécu cette mise à mort se souvient encore des hurlements lugubres de l’animal bien avant la mise à mort.

Une partie de cette viande est consommée dans les quinze jours qui suivent. Certains d’entre nous plus âgés se souviennent d’avoir mangé du boudin frit avec des pommes pendant plusieurs jours … Le boudin ,faut-il le préciser, c’est le sang du cochon que l’on recueille lorsqu’on le saigne…

* Le potager: c’est là où l’on produit des légumes dont on a besoin toute l’année. Des légumes frais au printemps et en été: petits pois, haricots verts, pois gourmands, salades de toutes les variétés, carottes, salsifis, rhubarbe. Pour l’hiver, on produit des pommes de terres, des légumes secs, pois cassés, lentilles et céréales telles que orge, blé sarrasin etc..

* Les familles plus aisées fabriquent des conserves de légumes et des confitures. Toutes ces préparations ajoutées aux repas quotidiens nécessitent un travail qui incombe souvent aux femmes. Quant aux enfants, ils sont chargés d’aller dans la nature ramasser myrtilles, framboise, mûres …

* Le pain donne lieu dans la plupart des régions à un accord particulier entre paysans et boulangers. C’est en fait un échange « blé pour du pain » selon lequel 1 kg de blé donne droit à 500g de pain.

* Toutes les exploitations possèdent aussi une vigne et chacun produit un vin dont Jean Ferrat dit qu’il était une horrible piquette. Enfin là où il est impossible de faire de la vigne, on a des pommiers pour fabriquer du cidre.

*Les techniques d’élevage et de culture n’évoluent pas car pour le paysan de cette époque le changement est synonyme de risques qui peuvent mettre en péril la vie de toute la communauté.

* La base de la gestion des sols consiste à limiter les dépenses au strict minimum : on utilise surtout fumiers et déchets organiques, les tous premiers engrais font leur apparition et de même les insecticides arrivent de manière timide. Il n’existe qu’un seul fongicide : La bouillie bordelaise est destinée aux plantes les plus sensibles aux maladies ( arbres fruitiers, vignes et pommes de terre)

* Les semences ne viennent pas d’industriels américains, elles sont généralement prélevées sur la récolte précédente.

*Le labour se fait à l’aide d’outils légers (charrues, herses, sarcloirs) et on utilisait la faucheuse pour les foins et les céréales.

* les principaux moyens de production sont essentiellement la main d’œuvre. Cependant, quand l’exploitation est grande, un salarié est embauché. Cet homme souvent peu payé est alors pris comme un membre de la famille et il est logé et nourri à la ferme.

* Les rendements de cette époque sont faibles. En 1950 le rendement moyen français est de 15 quintaux à l’hectare. Une vache laitière produit 2500 litres de lait par an. Une production ridicule pour nous maintenant mais bien suffisante pour les besoins de l’époque.

* le paysan de l’époque vend ce qui n’est pas « essentiel » pour l’alimentation familiale. Ces ventes ont lieu sur l’exploitation. C’est le cas du lait ramassé chaque jour par la laiterie, ou bien elle se déroule une à deux fois par semaine sur le marché local…

*La masse d’agriculteurs permet dans chaque commune de France la vie locale de petits artisans, forgerons, tailleurs de pierre, commerçants, de professions médicales, d’enseignants, de couturières, de prestataires de service comme les coiffeurs, plombiers, électriciens, de charrons, de menuisiers, de charpentiers, de maçons, de prêtres ( une église dans chaque village) et toute les sources d’emplois qui manquent cruellement actuellement..

* La campagne n’est pas un lieu de villégiature mais un lieu de vie et de lien. L’entraide est de coutume pour les fenaisons, les vendanges, les récoltes de blé.

* De nombreux travaux pénibles se réalisent donc en commun, les gens sont pauvres mais toujours solidaires et les fêtes villageoises sont légions. Là, les garçons et les filles vont se « fréquenter » entre gens du même village, parfois celui qui se trouve pas très loin…

* Cependant ne nous leurrons pas, la vie est extrêmement rude. On est tributaire du temps, d’une mauvaise récolte. En hiver, les carreaux des appartements sont givrés le matin au lever. Il fait froid alors on aménage des chambres près des étables pour favoriser cette douce chaleur venant des bovins.

Pourtant le changement commence à la fin de la guerre de 39-45

  • 1° En 1947 les Etats-Unis décident d’apporter une aide massive aux pays d’Europe pour relancer leurs économies. C’est le plan Marshall.

Ainsi l’agriculteur va avoir la fourniture à un prix plus que raisonnable de petits tracteurs de 25 chevaux. Ces derniers sont alimentés par une essence sans taxe et vont permettre de remplacer la traction animale dans les fermes de tailles moyennes

  • En 1958, La communauté économique européenne formée de 6 pays décide de se doter d’une politique agricole commune. L’Europe veut une agriculture moderne et auto suffisante dans les denrées de base comme les céréales, les viandes et les produits laitiers. Pour cette bonne raison, il faut intensifier la productivité pour permettre d’assurer la vie de l’exploitation et donner un revenu décent à l’agriculteur. La communauté européenne va donc organiser un système de prix garantis qui puisse mettre les agriculteurs à l’abri des fluctuations des marchés mondiaux.

Ce système va garantir des prix convenables mais nettement insuffisants pour des petites exploitations de 15 hectares

  • 3° C’est dans le milieu des années 1950 que la France va avoir une croissance exponentielle que l’on va décrire comme les 30 glorieuses et le marché de l’emploi est très dynamique. C’est l’exode rural. Les jeunes ne veulent plus prendre la suite de leurs parents, ils vont travailler en ville, attirés par des salaires séduisants et un mode de vie moins aride. Ceux qui restent à la campagne vont ainsi s’agrandir et vivre un peu mieux en profitant des moyens bien plus modernes et actuels.

Que se passe-t-il actuellement ?

Globalement la France compte environ 500000 exploitations agricoles et 32 millions d’hectares de surfaces cultivées. Un agriculteur possède en moyenne 80 hectares de surfaces exploitables.

Actuellement, les agriculteurs se sont spécialisés dans les productions pour lesquelles ils se sentent le mieux placés. Maintenant, c’est la productivité qui compte. On se spécialise dans un type de production : céréales pour des régions comme La Beauce, élevage de porcs en Bretagne…

Cependant, ces entreprises agricoles demandent des équipements toujours plus sophistiqués et puissants. Aujourd’hui, un homme très bien équipé peut à lui seul cultiver 200 hectares de céréales en situation favorable.

Dans les fermes laitières, toute la traite est mécanisée et chaque vache reçoit automatiquement une ration d’aliments concentrés adaptés à ses besoins. Un seul homme peut prendre en charge plus d’une centaine de vaches.

L’ordinateur fait son apparition dans les fermes au début des années 1990. Il est l’instrument incontournable pour la gestion des sols, le devenir de chaque animal, la comptabilité. Internet peut permettre à chacun de connaître l’état de son compte en banque, des produits disponibles à la coop , l’état des marchés, la météo, le développement des insectes nuisibles.

Les conditions de travail sont elles meilleures ?

Les tracteurs sont équipés de cabines climatisées mais le paysan chauffeur n’est pas à l’abri des embruns de son pulvérisateur, arrosant son champ de pesticides qui ne sont pas dépourvus de dangers pour sa santé. (développement de stérilités et de cancers)

L’activité, basée sur la productivité intensive, va faire que celui qui s’installe consacre les 25 premières années de sa vie professionnelle au remboursement des capitaux énormes qu’il a du mobiliser pour acquérir les moyens de production dits « modernes » :

animaux, matériels, terres, logements, équipements comme tracteurs, moissonneuses batteuses, bâtiments d’exploitations, matériels électroniques, lieux d’ensilage, engrais et pesticides….

Les marges que lui laissent ses annuités de remboursement font que le revenu disponible pour entretenir une famille est bien inférieur au SMIC …. Et par rapport à cela, les grandes surfaces veulent toujours les prix les plus « bradés ».

Les rendements moyens en blé de la France se situent actuellement entre 60 et 70 quintaux à l’hectare et une vache assure une production de 6000 litres de lait par an, on est bien loin des 2500 en 1950.

La France est devenue l’un des plus gros exportateurs de denrées agricoles au monde.

Mais pour cela, elle fait payer le prix le plus cher à ceux qui l’ont mis dans cette orbite. Les paysans ne sont plus les gens heureux des années 1950. Criblés de dettes, ils n’ont plus la joie de vivre et l’insouciance de leurs ancêtres.

La vie à la campagne est devenue une épreuve qui parfois trouve une issue bien dramatique.

Où sont donc les avancées sociétales en ce domaine ?

Le pouvoir de l’argent tue insensiblement ce qui est le plus beau des métiers : celui qui apporte la vie au travers de l’alimentation.

Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus : à écouter sur radio RCF

https://rcf.fr/actualite/environnement/pour-un-salon-des-agricultures

Enfin, malgré le sérieux du sujet, laissons-nous aller à un petit brin d’humour: dans les années 1960, Fernand Reynaud nous parlait de son pauvre paysan…certainement aux antipodes du paysan actuel !

Acteur-Nature