Plantes et anticoagulants Gilles Corjon – En raison de la prévalence des maladies cardiovasculaires, le nombre de prescriptions de médicaments anticoagulants est en constante augmentation. Mais le nombre de personnes qui a recours à des traitements de phytothérapie est lui aussi croissant. La question de savoir si l’usage de certaines plantes médicinales peut perturber l’action des médicaments anticoagulants se pose donc sérieusement. Au préalable, il est utile de rappeler qu’il existe plusieurs catégories de médicaments corrigeant les troubles de l’hémostase qui agissent à différentes étapes de la coagulation. L’ensemble des phénomènes physiologiques qui concourent à l’arrêt d’un saignement et au maintien de la fluidité du sang dans les vaisseaux est d’une extrême complexité. Les mécanismes qui contrôlent la coagulation et la fibrinolyse doivent pouvoir maintenir l’hémostase locale pour éviter le saignement jusqu’à la réparation du vaisseau endommagé tout en évitant les risques d’une coagulation à large échelle qui pourraient compromettre l’écoulement du sang dans les vaisseaux sanguins. Il faut distinguer: Les anti-agrégants plaquettaires ( Kardegic®, Plavix®,Ticlid®…) qui empêchent les plaquettes sanguines de se fixer sur les parois des vaisseaux ; ils sont principalement prescrits dans la prévention des thromboses artérielles et des risques liés à l’infarctus. Les anticoagulants qui agissent sur les facteurs de la coagulation . Parmi ceux-ci citons: les anticoagulants qui agissent directement sur la coagulation en interférant avec la formation de thrombine : Ils agissent de façon brève et rapide et sont utilisés par voie injectable . C’est le cas de l’héparine et de ses dérivés. les anticoagulants qui agissent directement sur la coagulation en interférant avec la formation de la prothrombine : ils agissent de manière différée mais leur action se prolonge dans le temps . Ce sont par exemple les AVK ( antivitamines K) qui s’utilisent par voie orale . Ces médicaments sont des dérivés coumariniques comme la coumadine ( Warfarine ®) ou l’acénocoumarol ( Sintrom®) ou des dérivés de l’indane-dione comme la flundione (Previscan®) . Leur mode d’action est bien connu . Au niveau hépatique, ils inhibent la synthèse des 4 facteurs plasmatiques de la coagulation permettant la formation de prothrombine et possèdent également un effet antagoniste compétitif avec la vitamine K. Les AVK sont le plus souvent prescrits en relais de l’héparine pour prévenir les risques de thrombose veineuse et pour limiter les risques d’embolie pulmonaire ainsi que pour prévenir les risques de récidive. Les thrombolytiques ne sont pas des anticoagulants mais des médicaments qui détruisent le caillot sanguin ( Exacyl®, Spotof®) Les plantes peuvent agir directement sur l’hémostase ou interagir avec les médicaments de l’hémostase de plusieurs manières. Cependant, notre compréhension des mécanismes impliqués est le plus souvent spéculative en dehors de quelques études plus documentées concernant la warfarine . En l’absence d’informations fiables concernant la plupart des plantes qui peuvent perturber l’action des médicaments anti-coagulants ou des anti-agrégants plaquettaires , la prudence exige que soit appliqué un principe de précaution chez les patients à risques. Certaines plantes possèdent un effet anti-agrégant plaquettaire : On peut citer l’ail ( Allium sativum) , le Ginkgo ( Gingko biloba), le ginseng (Panax ginseng Meyer), le saule blanc (Salix alba) , la reine des prés ( Filipendula ulmaria) et l’angélique chinoise ( Angelica sinensis). Les mécanismes sont complexes et pas toujours bien connus. Les plantes à dérivés salicylés comme la reine des prés ou le saule blanc agissent par un effet inhibiteur des cyclo-oxygénases et modifient ainsi les taux de certaines prostaglandines comme les thromboxanes qui activent l’agrégation des plaquettes et aident à la formation du thrombus ou caillot sanguin. Les gingkolides du Gingko biloba et en particulier le gingkolide B sont des inhibiteurs du PAF ( platelet activating factor) , un médiateur impliqué dans l’agrégation des plaquettes , la thrombo-formation et dans la réaction inflammatoire . Cet effet antagoniste du PAF associé aux propriétés anti-oxydantes des flavonoïdes pourrait expliquer les effets bénéfiques des extraits de Ginkgo biloba utilisés dans le traitement préventif et curatif des symptômes du déficit intellectuel pathologique et dans le traitement de la claudication intermittente des artériopathies chroniques des membres inférieurs. Les composés responsables de l’activité anti-agrégantes de l’ail sont sans doute les ajoènes . Ces composés sulfurés formés par la liaison de 3 molécules d’allicine sont surtout présentes dans les macérâts huileux d’ail. Ils possèdent des propriétés anti thrombotiques utiles pour réduire le risque de maladies cardiovasculaires. La grande camomille (Tanacetum parthenium) est utilisée dans le traitement des états migraineux et des règles douloureuses. Ses composés majeurs sont des lactones sesquiterpéniques appelées parthénolides qui possèdent des propriétés anti-agrégantes plaquettaires . Le mécanisme d’action évoqué pourrait être un effet inhibiteur de la phospholipase A2 avec pour conséquence le bloquage de la libération d’acide arachidonique et sa transformation en Thromboxane A2. D’autres auteurs suggèrent une modification du seuil d’initiation de l’activation plaquettaire par interaction avec la protéine kinase C , un médiateur qui joue un rôle dans l’activation des plaquettes. Les racines d’angélique chinoise ou Dong Quai contiennent de l’acide férulique qui a montré chez le rat un effet inhibiteur de l’agrégation plaquettaire et de la libération de sérotonine in vitro et in vivo. Certaines plantes possèdent des propriétés fibrinolytiques : C’est le cas de l’ail et surtout de l’ananas (Ananas comosus) dont les fruits mûrs et surtout les tiges contiennent des enzymes protéolytiques appelés bromélaïnes ou bromélases qui sont connus pour leurs propriétés anti-inflammatoires et anti-oedémateuses. L’activité fibrinolytique de la bromélase s’exerce sans doute par l’intermédiaire de facteurs qui hydrolysent la fibrine tels que l’activation du plasminogène en plasmine. Les fucoïdanes sont des polysaccharides sulfatés que l’on trouve dans plusieurs espèces d‘algues brunes comme les fucus, les kombus ou le wakame. Des travaux de recherche ont démontré que ces constituants avaient des propriétés favorables sur le fonctionnement du système immunitaire et sur la communication cellulaire. Ils auraient également des propriétés fibrinolytiques intéressantes dans la prévention de la formation d’un thrombus. D’autres travaux ont révélé que les polysaccharides sulfatés de l’algue Fucus evanescens posséderaient une activité anticoagulante similaire à celle de l’héparine par une action directe sur la thrombine. D’autres plantes contenant des composés coumariniques sont souvent présentées comme anti-coagulantes en raison de la possible formation de dicoumarol à l’origine de la découverte des AVK. Ce sont par exemple le mélilot ( Melilotus officinalis) , l’aspérule odorante ( Galium odorata) , la fève Tonka (Dypterix odorata ) ou le marronnier d’Inde ( Aesculus hippocastanum). Toutefois , cette propriété ne peut apparaître que dans des conditions d’humidité ou de mauvais séchage qui permettent le développement de moisissures qui assurent le couplage des unités coumarines en dicoumarol. Pour rappel, la coumarine simple ne possède aucune propriété anti-coagulante alors que le dicoumarol est un antagoniste de la vitamine K. Si vous n’êtes pas sûr de l’origine de la plante séchée de mélilot ou d’aspérule odorante que vous voulez utiliser, il est recommandé de l’écarter surtout chez des sujets à risques ou chez les femmes enceintes. Veuillez noter que l’esculoside , un glucoside de l’esculétol, que l’on trouve dans les écorces de marron d’inde a démontré « in vitro » une activité antiagrégante plaquettaire qui pourrait potentialiser l’action des médicaments fluidifiants sanguins et des anti-coagulants. Cet hétéroside coumarinique n’est pas présent dans les graines du marron d’inde qui sont principalement utilisés pour les insuffisances veineuses chroniques. Inversement, certaines plantes peuvent réduire l’efficacité d’un traitement anticoagulant de type AVK , car elles peuvent contenir des quantités significatives de vitamine K. Il faut penser tout d’abord à des plantes alimentaires à feuilles vertes comme les choux et les épinards mais d’autres plantes comme l’ortie piquante , le persil , la luzerne, l’huile de soja ou même le thé en contiennent également . Des observations ont démontré que des variations d’apports alimentaires, supérieures à 500 μg par jour, modifient l’activité des AVK. Sur le plan pratique, il n’est pas question de supprimer ces plantes de votre quotidien mais de veiller à ne pas en consommer en trop forte quantité. Certaines « micro-algues » comme la chlorella ou la spiruline ont des teneurs en vitamine K de l’ordre de 0,2 à 0.3 mg/100g peuvent également modifier l’INR en cas de prise d’AVK. Pour rappel, le suivi de l’INR (International Normalized Ratio), un des indicateurs de la coagulation sanguine, permet un contrôle des doses d’AVK à prescrire. En conclusion, on peut affirmer que les plantes médicinales couramment utilisées n’ont pas intrinsèquement des propriétés anticoagulantes mais que certaines possèdent plutôt des propriétés anti-agrégantes plaquettaires et fibrinolytiques . En l’absence de données précises, il convient d’être vigilant si on veut utiliser ces plantes en association avec des traitements médicamenteux comme les AVK ou les anti-agrégants plaquettaires. Dans la plupart des cas, les interactions sont modestes car les doses de plantes médicinales employées sont relativement faibles. En dehors de la prise d’AVK ou d’autres anticoagulants, la prudence s’impose tout particulièrement dans les cas suivants: les hémophiles , les personnes qui s’apprêtent à subir une intervention chirurgicale, les femmes ayant des règles hémorragiques et les personnes atteintes d’un déficit en G6PD (glucose-6-phosphate-deshydrogénase). Gilles Corjon Docteur en pharmacie, herboriste ELPM